Ces dix dernières années, les démocraties du monde entier ont été confrontées à de multiples défis et l’Afrique ne fait pas exception : entre 2020 et 2022, le continent a connu six coups d’État et trois tentatives avortées, soit une hausse significative par rapport aux vingt années précédentes.
Fort de son mandat officiel et de sa présence locale dans les pays africains, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a mené une étude sur l’augmentation des pratiques de manipulation constitutionnelle et la recrudescence alarmante des coups d’État militaires en Afrique. Les conclusions sont présentées dans ce nouveau rapport intitulé « Soldats et citoyens : les coups d’État militaires et le besoin d’un renouveau démocratique en Afrique ».
L’événement de lancement a été organisé en partenariat avec le think tank Chatham House, en marge de la 5e réunion semestrielle de coordination de l’Union africaine, des communautés économiques régionales et des mécanismes régionaux, qui s’est tenue le 15 juillet 2023, à Nairobi, au Kenya.
La recherche est basée sur une vaste enquête qui a permis de recueillir les opinions de 8 000 citoyens à travers l’Afrique. Parmi les personnes interrogées, 5 000 ont récemment vécu des coups d’État ou des changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG), tels que définis par la Déclaration de Lomé de 2000 sur le cadre de la réponse de l’OUA aux CAG. Les pays étudiés sont le Burkina Faso, le Tchad, la Guinée, le Mali et le Soudan. Les avis des citoyens de ces pays contrastent avec ceux des 3 000 citoyens des pays qui se trouvent sur la voie de la transition ou de la consolidation démocratique, à savoir la Gambie, le Ghana et la Tanzanie. Cette enquête inédite fournit un ensemble de données centrées exclusivement sur les personnes et révélant des informations en vue, d’une part, de prévenir de nouveaux coups d’État et, d’autre part, d’exploiter les opportunités de changement et de l’établissement d’un ordre constitutionnel durable.
Trois conclusions essentielles ressortent clairement de l’étude.
La première concerne la préférence des citoyens pour la démocratie, préférence qui donne lieu à un appel retentissant aux États en faveur du renforcement de la démocratie et pour que la priorité soit donnée à une réinitialisation du contrat social. La majorité des citoyens interrogés dans les deux contextes ont déclaré que la démocratie reste leur forme de gouvernement préférée. En effet, seulement 11 % des 5 000 citoyens interrogés dans un contexte de CAG préfèrent une forme de gouvernement non démocratique. Par conséquent, afin de renforcer la résilience aux coups d'État, il est impératif que les gouvernements à travers l'Afrique s'orientent vers l'amélioration de la gouvernance, le renforcement de la démocratie et la promotion de l'inclusivité. La réinitialisation du contrat social est nécessaire à la fois pour aider les États affectés par un coup d’État à aller de l’avant et pour prévenir de futurs coups d’État. Pour ce faire, les gouvernements devront focaliser leurs efforts sur des mesures concrètes visant à améliorer directement la qualité de vie et à créer des opportunités au bénéfice de toutes les composantes de la société.
La deuxième conclusion est que, pour atténuer le risque de coup d’État, le prisme du développement joue un rôle essentiel, car il montre comment des circonstances hybrides de facteurs de déclenchement, directs et structurels créent des risques de coup d’État. Il existe des corrélations claires entre un risque accru de coup d’État et des indicateurs de développement faibles, surtout s’ils sont associés à des déficits de gouvernance. Les déficiences dans les performances du gouvernement, la corruption et l’incapacité à assurer la sécurité, à obtenir des avancées en matière d’inclusivité et à créer les opportunités connexes, créent une profonde volonté de changement. Et ce changement nécessite des solutions globales et intégrées. Des instruments tels que la Facilité africaine d’appui aux transitions inclusives (AFSIT), récemment lancée, permettent des actions programmatiques uniques pouvant contribuer de manière significative à combler les lacunes des réponses internationales et régionales actuelles.
La troisième conclusion principale établit que le risque de coup d’État est plus élevé dans les pays ayant une longue histoire de régimes militaires.Les données montrent que les pays où les pays avec un antécédent de régimes militaires et où l’armée est étroitement impliquée dans la vie politique nationale sont beaucoup plus exposés aux risques de coups d’État militaires récurrents. Ces pays sont également ceux où la part du budget de l’État consacrée aux dépenses militaires est la plus élevée. Ces résultats mettent en évidence un besoin crucial de redéfinir le rôle de l’armée dans la vie politique et, plus généralement, dans les relations entre les sphères civile et militaire.
« Le rapport appelle à un recentrage sur le développement, notamment sur la bonne gouvernance, les droits de l’homme et l’accès aux services de base tels que l’éducation et les soins de santé, en tant que moyens essentiels non seulement de prévenir les coups d’État, mais aussi de maintenir la paix. Un tel recentrage est particulièrement crucial dans des régions comme le Sahel, qui sont confrontées à un risque important de coups d’État. Cet investissement contribuera également à l’avancement décisif de l’Agenda 2030 et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine », déclare Ahunna Eziakonwa, sous-secrétaire générale des Nations Unies, administratrice adjointe du PNUD et directrice du Bureau régional pour l’Afrique.
Bola Tinubu, président de la République fédérale du Nigéria, dans une déclaration prononcée en son nom par l’ambassadeur Adamu Ibrahim Lamuwa, secrétaire permanent du ministère des Affaires étrangères, déclare que « les dirigeants africains doivent faire tout leur possible pour empêcher les coups d’État » et appelle « tous les leaders africains, à tous les niveaux d’autorité, à déployer des efforts concertés, dans le respect des principes de la démocratie et de l’État de droit, afin d’assurer la stabilité politique sur le continent ». Tinubu a récemment été élu président de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’organe sous-régional de cette organisation, composé de 15 pays d’Afrique de l’Ouest.
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