NIGER : LES RELENTS SOCIOLOGIQUES D’UN COUP D’ETAT !

Comme à l’accoutumée, le coup de force opéré le 26 juillet au Niger par la Garde du Président Mohamed Bazoum donne lieu à des analyses, commentaires et prises de positions divers qui étonnent, pour certains, par leur complaisance avec la « résurrection » du fléau des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest. La tendance notée est à les « comprendre », sous prétexte que les « dirigeants sont corrompus », qu’il y a de la « mauvais gouvernance », que la « pauvreté est rampante », etc. 

Certes ! Sauf que jusqu’ici, les théoriciens de cette alternative par coup de force ne démontrent pas d’exemple de régime putschiste en Afrique de l’Ouest qui aurait mieux fait que les régimes civils en termes de gestion et de progrès sur le chemin du développement. 

Depuis les indépendances, les militaires ont totalisé 37 ans et 1 mois au pouvoir au Mali, contre 26 ans et 6 mois pour les civils ; au Burkina Faso, ce sont 47 ans et 7 mois de régimes militaires, contre 13 ans et 2 mois de gouvernements civils. Certes, la tendance est inverse au Niger (39 ans de régimes civils contre 26 ans pour les militaires) et en Guinée (37 ans pour les civils et 28 ans pour les militaires). Mais, dans tous les cas, pour les férus de régimes virils de manière générale, la situation économique et sociale de ces quatre pays n’est pas plus reluisante que celle de pays qui n’ont jamais ou presque connus de coup de force militaires en Afrique de l’Ouest (Cap-Vert, Sénégal, et Côte d’Ivoire).

S’agissant du cas particulier du Niger, objet de ce papier, il est étonnant de constater que les analystes et autres « experts de l’Afrique » perdent de vue, ou occultent de manière délibérée, une caractéristique singulière du coup de force du 26 juillet. Au- delà de l’équation personnelle du Général Tchiani qui aurait agi préventivement pour échapper à une mesure, par décret, de restructuration de la hiérarchie de la Garde présidentielle, ce coup d’Etat est aussi l’aboutissement d’un ressentiment humain, sur fond de nigeriennité, ou plus exactement de « racialisme » qui ne dit pas son nom.

L’on se souviendra que, dès 2019, après la désignation de M. Bazoum comme candidat du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) à l’élection présidentielle du 27 décembre 2020, le déni de la nigeriennité du futur Président de la République est sorti de son état de latence pour s’exprimer désormais sur la place publique. En cause, la perspective « insupportable » chez certains cercles politiques et élitistes que le peuple nigérien, fort de ses 23 millions d’habitants, composé à majorité des ethnies

membre de la communauté arabe qui représente à peine 1% de la population. Car, le Président Bazoum fait partie du groupe sociologique

«     , aussi   une tribu

Pendant la campagne électorale, le sujet fait les choux gras d’une partie de la presse qui insistait sur ce problème de nigeriennité de Bazoum dépeint comme n’étant pas à 100% nigérien.

  Haoussa (56%) et Zermas-Songaï (22%), puisse être dirigé par

 un « étranger », de surcroît

 Oulad Souleymane »

appelés « Wassili »,

arabe ultra-minoritaire

au Niger, et dont les membres sont originaires du Fezzan, en Libye voisine.

Le 15 décembre 2019, sept (7) candidats concurrents à l’élection présidentielle soulèvent ainsi des doutes au sujet de l’authenticité de la nationalité nigérienne de Bazoum et saisissent la Cour constitutionnelle aux fin de faire invalider sa candidature, au motif que Bazoum aurait fourni un faux certificat de nationalité. 

Le 17 décembre, la Cour a néanmoins considéré la requête comme « non fondée » et l’a rejetée.

Bazoum a remporté les quatre provinces du Sud-Est, Centre et Nord composées essentiellement de la tribu arabe (Agadez, Diffa, Maradi, et Tahoua), tandis que son

rival, Mahamane Ousmane, va remporter les quatre autres

Mais, en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle, du caractère démocratique de l’élection et des résultats des urnes (mêmes s’ils ont été contestés par l’adversaire), le mal était déjà fait : le doute sur la nigériennité de Bazoum est désormais installé dans les esprits de certains Nigériens qui vivent avec le sentiment d’être dirigé par un « étranger ». Il n’est pas exclu que ce sentiment ait gagné une partie de l’Armée. Car, l’on notera qu’à peine élu, à la veille de sa prestation de serment, le Président Bazoum sera victime d’une tentative de coup d’Etat. Ce sentiment pourrait aussi expliquer, pour partie, le ralliement rapide de l’Etat-major au coup de force de la Garde présidentielle après un ultimatum pour passer à la contre- offensive.

En outre, le style direct, franc et décomplexé de Bazoum sur des questions quelques fois tabous, comme celle du communautarisme dans le Sahel, a vraisemblablement réveillé l’orgueil nationaliste et xénophobe de certains de ses compatriotes souffrant d’être sous le commandement suprême d’un Arabe, communauté sur laquelle, pèse, de surcroit, de fortes présomptions de collisions avec les groupes jihadistes dans le Sahel. Le 25 février 2022, dans un discours qui tranche avec le tempérament discret de son prédécesseur, Bazoum assène ses quatre vérités sur la question du communautarisme au Sahel: « le socle de la solidité relative du pays dans la crise est à mettre au crédit de Mahamadou Issoufou qui a dès son arrivée associé les communautés touareg et toubou à la gestion du pays (...). Nous avons mis en œuvre une gouvernance qui met à l’aise tous nos compatriotes et qui ne donne le sentiment à aucun d’entre eux qu’il n’est pas intégré par la République. (...) Cette politique, nous l’avons réussie avec beaucoup de bonheur car aujourd’hui, moi, je vais vous le dire, le problème du Mali réside dans le fait que ça n’a pas été fait. (...) Au Mali, ils n’ont pas plus de Touaregs que nous, pas plus d’Arabes que nous mais, depuis 2012, les deux-tiers de leur territoire échappent à l’expression de la souveraineté de l’Etat. (...) ».

La configuration des résultats du vote au second tour de l’élection présidentielle va refléter la problématique communautariste qui sous-tendait le contentieux de l’éligibilité de Bazoum. Celui-ci et son adversaire, Mahamane Ousmane, ancien Président de la République, vont gagner, chacun, 4 des 8 provinces du pays,

 correspondant à la répartition des composantes sociologiques du pays.

 essentiellement de la majorité Haoussa, et d’autres composantes ethniques du pays (Tillabery -région de naissance du Général Tchiani-, Dosso, Zinder et Niamey). Bazoum a dû sa victoire à des alliances avec une cinquantaine de partis politiques qui lui ont valu, avec 55% des voix, de devenir ainsi le premier président arabe du

du Sud-ouest composées

  Niger.

Piquées au vif par ces remarques, les autorités de transition maliennes embrayent et font, a postériori, de la question de la nigeriennité de Bazoum, un structurant de leur argumentaire dans leur guéguerre épistolaire contre le Président nigérien. Dans un discours aux contours de diatribes devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 24 septembre 2022, le Colonel Abdoulaye Maïga, Premier ministre par intérim du Mali, qualifiait, sans gangs, le président Bazoum d’« étranger qui se réclame du Niger ».

Il est insoutenable, au 21e siècle, de surfer sur des théories qui stigmatisent, discriminent et excluent, dans une Afrique riche de sa diversité, plurielle et composite. Indexer des communautés ou les empêcher d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat, c’est faire le lit de comportements communautaristes, défiants et radicalistes des populations. Il est surprenant que des intellectuels africains se prêtent, avec facilité, au jeu d’acteurs qui alimentent ces travers en justifiant le coup d’Etat au Niger par des arguties du type « Bazoum paye sa proximité avec la France », « il défendait les intérêts occidentaux », « c’est un problème de mauvaise gouvernance et de pauvreté des populations, », etc.

L’élection du Président Bazoum était une victoire contre le tribalisme, un exemple d’inclusivité de la démocratie nigérienne, une preuve de l’égalitarisme de l’Etat nigérien, et une leçon pour l’Afrique qu’il est temps de transcender les clivages communautaires qui minent les efforts de développement. Avec son renversement brutal, cet acquis prend incontestablement un coup d’arrêt au Niger.

Car, si la tribu arabe du Niger venait à très mal vivre ce coup d’Etat, il est à craindre qu’elle développe, à termes, des comportements de nature à fragiliser le vivre- ensemble et la Nation nigérienne ; se sentant quelque part spoliée dans le jeu démocratique, elle pourrait se rapprocher davantage des mouvances jihadistes qui essaiment le Sahel.

Un « CEDEAO bashing » hors de propos.

Depuis le début de cette crise, on entend, çà et là, une floraison de propos binaires opposant, d’un côté les peuples ouest-africains, et, de l’autre, leurs dirigeants. A lire certaines analyses d’experts auto-proclamés de l’Afrique en tous genres, on est tenté de leur demander: mais, finalement que voulez-vous: des peuples ouest- africains sans dirigeants ou des dirigeants ouest-africains sans peuples ?

Gagnés par l’adrénaline dont s’accompagne le braquage de la démocratie par des coups de force militaires, certains analystes, et ils sont légion, cèdent à la vulgate anti-CEDEAO en vogue au sein de la plèbe Facebook, Instagram, Tik Tok, ou encore Twitter. Ils occultent ainsi sciemment, les traits positifs d’une Organisation sous- régionale qui, dans la configuration structurelle actuelle de l’Afrique, à travers les huit (8) Communautés économiques régionales (CER) reconnues par l’Union africaine, se distingue par un réel projet d’intégration politique, économique et sociale qui avance, et un leadership politique qui a fait ses preuves dans le temps en matière de règlement de nombreuses crises (Gambie, Guinée-Bissau, Libéria, Sierra Leone). Même l’Union africaine ne fait pas mieux.

En 2011, l’OTAN était bien impliquée dans l’opération fatidique contre la Libye ; en 2022, l’on a tous vu que la question du périmètre de l’OTAN en Europe de l’Est a été une des sources de la guerre Russie/Ukraine en cours. Et pourtant, dans l’un et dans l’autre cas, les analystes/commentateurs s’étaient bien gardés et se gardent bien encore d’avancer des thèses de nature à pouvoir dresser les opinions publiques occidentales contre l’OTAN et les dirigeants de ses Etats et gouvernements membres. C’est une posture responsable qui participe du souci de créer de la synergie autour du leadership de l’OTAN face à un « ennemi » commun. Dans le même temps, il faut admettre que, depuis le coup d’Etat du 20 août au Mali, le centre de gravité des préoccupations sécuritaires en Afrique de l’Ouest, se déplace progressivement. Il migre des mouvements jihadistes vers les mouvements putschistes. Le nouvel ennemi commun est désormais « les coups d’Etat ».

Certains analystes/commentateurs vont également jusqu’à douter de la légitimité de la CEDEAO à sanctionner « aussi sévèrement » un autre pays membre, y compris en ordonnant une opération militaire pour restaurer l’ordre constitutionnel et démocratique après un putsch. Avant d’aller plus loin, entendons-nous sur un postulat : un putsch, comme dans le prononcé de son orthographe, est aussi laid pour le moral d’un peuple, et laid pour la quiétude même de ses auteurs.

Il faut maintenant se rappeler que les sanctions que prononce la CEDEAO contre les auteurs d’un putsch ne sont pas des mesures imaginées de manière spontanées, au gré de chaque circonstance. Elles sont fondées sur les textes dont les Etats et Gouvernements membres ont librement et souverainement doté l’Organisation sous- régionale. Il s’agit, en l’occurrence, du Traité révisé (signé à Cotonou le 24 juillet 1993), du Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité (1999), et de son Protocole additionnel (A/SP1/12/01) sur la démocratie et la bonne gouvernance, adopté le 21 décembre 2001 à Dakar (Sénégal), et enfin de l’Acte additionnel A/SA.13/02/12 du 17 décembre 2012, portant régime des sanctions à l'encontre des Etats membres qui ne n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO.

Le Protocole de 1999 a institué un mécanisme ayant pour objectifs, entre autres, la prévention, la gestion et le règlement des conflits dans l’espace CEDEAO. 

Ce mécanisme est constitué d’institutions comprenant : (a) la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernements membres ; (b) le Conseil de médiation et de sécurité; (c) le Secrétariat Exécutif ; et, (d) toute autre institution créée par la Conférence. Plus haute instance de décision du Mécanisme, la Conférence « est habilitée à prendre toute décision dans le cadre des questions se rapportant à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, au maintien de la paix et de la sécurité » (article 6). Cette habilitation à « PRENDRE TOUTE DECISION... » inclut donc la possibilité d’ordonner une intervention militaire en cas de rupture de la démocratie par un coup de force militaire.

Le Protocole additionnel de 2001 pose en son chapitre 1 relatif aux principes de convergences constitutionnelle que « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. » La Section IV traitant du « rôle de l’Armée et des Forces de sécurité publique dans la démocratie » dispose en son article 20 que ces dernières « sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées.» C’est un énoncé insistant sur la neutralité politique de l’Armée et le caractère « républicain » qui doit être le sien en toutes circonstances.

Quant à l’Acte additionnel du 17 décembre 2012, il prévoit en son article 6 un régime de sanctions politiques applicables à l'encontre des Etats membres qui n'honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la Communauté. Ce régime comprend, notamment :

1) la suspension de I ‘octroi de tout nouveau prêt ou de toute nouvelle assistance par la Communauté;

2) la suspension de décaissement pour tous les prêts, pour tous les projets ou les programmes d'assistance communautaires en cours;

3) l’interdiction de voyager pour les dirigeants, les membres de leurs familles et leurs partisans, nonobstant les dispositions communautaires sur la libre circulation des personnes;

4) le gel des avoirs financiers ;

5) l'embargo sur les armes à destination de l'Etat membre concerné;

6) l’imposition de la paix ou la restauration de l'ordre constitutionnel par l'utilisation de la force légitime.

Tous ces instruments ont été ratifiés en bonne et due forme par les parlements des différents Etats membres.

En Afrique de l’Ouest, tant que des voix ne diront pas aux militaires, qu’à l’instar des autres corps (magistrats, enseignants, médecins, agriculteurs, etc.), leur place est d’être là où ils sont et de faire ce pourquoi le contribuable a consenti des efforts financiers pour les former, notre œuvre sera comme celle de Sisyphe : un éternel recommencement.

Si l’Afrique acquiesce le coup au Niger, nous serons toutes et tous collectivement complices du viol des droits des minorités sur le continent.

Oupa Nayandar CORREA

Dakar – Sénégal.